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Entretien
Culture
Un Été au Havre

"Composer avec les éléments, en harmonie avec la nature"

Rhys Chatham a composé le concert unique d'ouverture d'Un Été au Havre 2018

Chef de file de l’avant-garde minimaliste dans les années 70, le compositeur Rhys Chatham a réuni avec la complicité du CEM 100 guitaristes amateurs pour un concert unique, à l’occasion de la soirée d’ouverture d’Un Été au Havre, le 23 juin 2018. Rencontre.

  • lehavre.fr : Comment avez-eu l’idée de faire jouer 100 guitaristes ensemble ?

Rhys Chatham : C’est une longue histoire qui commence en 1977 lors d’un concert des Ramones au CBGB’s* à New-York. J’y ai assisté avec mon amie Patti Smith et j’ai été littéralement fasciné par le son des guitares. Je ne connaissais rien au punk rock parce qu’à l’époque, j’étais compositeur de musique classique. Quand Patti a vu mon enthousiasme, elle m’a dit : tu peux jouer comme ça. Il est vrai qu’à ce moment-là, le courant minimaliste dont je faisais partie, composait des morceaux avec une guitare électrique qui répétait un seul accord en boucle, un peu comme la musique punk. Je me suis donc lancé et j’ai composé Guitar Trio, un morceau pour trois guitares électriques avant d’en écrire un pour 6. Et là je me suis dit : si tu arrives à composer une musique pour 6 guitares, tu peux le faire pour 100.

  • lehavre.fr : Comment avez-vous réussi à relever ce défi ?

R.C. : C’était plus qu’un défi, c’était un rêve. Au début des années 80, je me rappelle en avoir parlé avec une amie. Elle a alors parié avec moi que je ne connaissais pas 100 guitaristes à qui demander. J’en ai réuni 80 et elle 20. Mais l’essai n’a pas été concluant. Je me suis aperçu que je n’étais pas prêt musicalement à mener à bien un tel projet. J’ai donc continué à composer. En 1988, je déménage à Paris pour y vivre avec ma femme et je rencontre alors le producteur de musique Francis Falceto. Je lui parle de ce rêve toujours inabouti. Il est enthousiaste et me commande un morceau pour l’interpréter à L’Aéronef de Lille. Je compose An angel moves toot fast to see et le joue avec 100 guitaristes pour la première fois en 1989. C’était génial. Personne n’avait encore jamais entendu un son comme ça.

  • lehavre.fr : Comment compose-t-on une partition pour 100 guitares ?

R.C. : J’ai gardé la même approche que pour une composition de musique classique. J’ai divisé le morceau qui dure 70 minutes en 5 mouvements : prélude, adagio long, allegro, adagio et presto. Je le joue avec 6 guitares puis grâce à l’ordinateur, je vois ce que donne le son avec 100 guitares.

  • lehavre.fr : Comment écrire une partition pour des musiciens amateurs qui ne savent pas tous lire la musique ?

R.C. : La partition est très basique avec des notations standard. C’est très facile de travailler avec des musiciens de rock car ils connaissent intuitivement les sons, les notes.

  • lehavre.fr : Comment avez-vous travaillé avec les guitaristes du Havre ?

R.C. : Le CEM** a fait un super boulot. C’est une école de musique qui aime le rock et qui l’enseigne très bien. Elle a choisi des guitaristes qui jouent dans des groupes ou des élèves de l’école qui ont déjà un bon niveau. Les ampli sont fournis par la Ville tout comme les accordeurs et les variateurs. Il suffit juste d’apporter sa guitare.

  • lehavre.fr : Combien avez-vous prévu de répétitions ?

R.C. : Il y en aura deux : une la veille du concert et l’autre le jour même. Les guitaristes sont répartis en trois groupes (tenor, alto, soprano) dirigés par trois chefs de section. Ce sont eux qui leur indiqueront ce qu’ils doivent faire pour suivre les variations de la musique. Le morceau s’apprend en peu de temps. Les répétitions servent surtout à mettre en contact les guitaristes, à former une petite communauté. Cette expérience doit être joyeuse, sans stress.

  • lehavre.fr : Vous allez jouer sur la plage. Comment vous y êtes-vous adapté ?

R.C. : J’ai déjà joué avec 100 guitaristes en extérieur, sur le parvis du Sacré Cœur à Paris, mais jamais encore sur la plage. C’est assez spécial. J’ai visité le site pour avoir une idée de la progression du son. Une chose est sûre : on ne peut pas entrer en concurrence avec le bruit de la mer ou du vent. Il faut composer avec les éléments, dans un partage harmonieux avec la nature, comme dans un rite païen. J’ai souhaité jouer avec un effet stéréo, en scindant les guitaristes en trois groupes répartis sur tout l’espace avec un accord différent pour chacun (aigü, grave et très grave). Ils utiliseront des cordes spéciales qui vont amplifier le son. Je suis vraiment impatient de mettre ensemble le vent, la mer, le sable et le feu tout autour, dans la même musique.

*club mythique qui fit émerger le rock underground et le punk rock
** Centre d’expressions musicales

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