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Parole à la Bande des Havraises

Journée Internationale pour les Droits des femmes - 8 mars 2019

À l’occasion de la Journée Internationale pour les Droits des femmes, nous avons demandé aux cinq artistes femmes de la Bande des Havrais d’apporter leur témoignage, leur regard sur cette vaste question de l’art et de la féminité. La notion d’art féminin a-t-elle du sens ? Diriez-vous qu’il y a une dimension féminine, ou bien féministe, dans votre travail ? Certaines femmes artistes vous inspirent-elles ? Telles sont les questions que nous leur avons posées et auxquelles elles ont bien voulu répondre…

Delphine Boeschlin est graphiste et plasticienne, Laure Delamotte-Legrand est plasticienne et vidéaste, Sarah Crépin est metteur en scène et chorégraphe de La BaZooKa, Juliette Richards est musicienne et compositrice, Agnès Maupré est autrice de bande dessinée, illustratrice et parolière. Elles exposent au MuMa jusqu’au 14 avril avec « Retour du vaste monde », aux côtés de Brav, rappeur, Patrice Balvay, plasticien, Kévin Cadinot, plasticien, Christophe Guérin, cinéaste, Sébastien Jolivet, plasticien et installateur, et François Trocquet, plasticien.

Sarah Crépin

Sarah Crépin

« Il est où le féminin, c’est quoi, comment on le représente ? Il y a beaucoup de stéréotypes comme la douceur ou la rondeur mais personnellement, mon féminin n’est pas limité à du rond ou du doux ! Et des hommes ont ces qualités. Le féminin comme le masculin ne sont pas figés, ils sont toujours en mouvement, à réinventer.

Mon travail se fait en duo et en parfait équilibre et complémentarité avec un homme [Etienne Cuppens]. Notre travail s’élabore donc par cette confrontation permanente entre masculin et féminin mais Etienne affirme et explore peut-être encore plus que moi la question du féminin. C’est une nouvelle aventure à chaque fois. On essaie aussi d’effacer les frontières, comme lorsqu’on a écrit une pièce dans laquelle des femmes vivaient dans une forêt et maniaient la hache, qu’on imagine plutôt entre les mains d’un homme. Pour notre prochaine pièce, où on imagine une femme samouraï, j’apprends à manier le sabre, c’est encore une manière d’exacerber et d’affirmer la liberté féminine.

J’ai la chance d’avoir hérité du combat des femmes des générations qui m’ont précédées : ma mère et mes tantes se sont battues et m’ont éduquée à l’indépendance en me disant que je pouvais faire ce que je voulais. Je peux dire que je suis féministe si c’est pour que chacun, homme et femme, trouve sa place ! Ce qui serait formidable, ce serait qu’il n’y ait plus de Journée des femmes, ou alors qu’il y en ait une pour les hommes, ou encore qu’on ne dise plus « les Hommes » pour parler de l’humanité ».

Laure Delamotte-Legrand

Laure Delamotte-Legrand, plasticienne et vidéaste

« Je ne trouve pas pertinent de faire la distinction entre art masculin et art féminin. Le combat très engagé des femmes artistes pour faire reconnaitre leur place remonte aux années 70, et il a fait bouger les lignes. La situation reste malgré tout difficile aujourd’hui. Même si c’est beaucoup mieux, une femme artiste doit encore se battre davantage qu’un homme pour être reconnue. Par contre, je ne suis pas favorable aux expositions exclusivement féminines, comme pour leur donner un temps et un espace circonscrits. J’apprécie au contraire que celle du MuMa soit équilibrée entre hommes et femmes, sans que ce soit revendiqué. D’autant qu’on a tous en nous une part de masculin et une part de féminin. En fait, j’ai beaucoup de mal avec les catégories! Dans ma création, je passe mon temps à décloisonner, à brouiller les frontières, à être dans la transversalité, en passant de la vidéo au spectacle vivant, etc. Je n’aime pas être mise dans une case, peut-être est-ce ma manière de défendre mon identité de créatrice, et est-ce ma part féministe, d’autant que je donne toujours beaucoup de place à l’autre dans mon travail. Si le public qualifie ce que je fais de féminin cela ne me dérange pas du tout. Mais je ne me pose pas cette question dans ma démarche de création.

J’admire beaucoup d’artistes femmes, féministes ou pas. Je peux citer Joana Vasconcelos. C’est une artiste portugaise qui a le même âge que moi. Elle traite dans ses créations de sujets traditionnellement rattachés aux femmes, comme le crochet, ou le corps féminin, mais elle le fait avec énormément d’humour et de décalage. C’est une artiste emblématique de notre époque, joyeuse et féministe mais pas de manière frontale. Elle a notamment exposé à Versailles sa vision exubérante et délirante de Marie-Antoinette ».

Juliette Richards

Juliette Richards, musicienne et compositrice

« Pierre et Gilles sont des artistes qui m’inspirent beaucoup. Dans leurs œuvres il y a de la féminité dans la masculinité et de la masculinité dans la féminité, ce qui est central c’est l’humain, la distinction tend à disparaître. La sensualité est présente chez une femme comme chez un homme. Donc pour moi il n’y a pas d’art féminin.

Il n’y a pas de dimension spécialement féminine dans mon travail. Si l’auditeur le ressent, ce n’est pas une intention de ma part. Certes, cela transparaît dans ma voix mais mes propos sont universels. Je parle surtout d’amour et c’est un sujet aussi féminin que masculin. De même je pense que ma musique peut toucher tout autant un homme qu’une femme. En revanche, être une femme qui fait de la musique et qui joue d’un instrument, c’est sans doute féministe quelque part. Aujourd’hui encore dans ce milieu il faut montrer plus d’assurance pour prendre sa place. Quand j’ai commencé, je voulais surtout faire du rock pour m’affirmer, parce que c’est encore un domaine majoritairement masculin. Aujourd’hui je fais surtout ce qui me plaît.

Une artiste que j’aime énormément, c’est Björk. Ce qui la caractérise selon moi c’est l’authenticité, car elle a créé quelque chose qui n’existait pas avant, elle a su imposer son style propre. C’est un exemple de femme qui a réussi, une artiste complète et accomplie, admise à la fois en tant qu’artiste et en tant que femme. »

Agnès Maupré

Agnès Maupré, auteure de bande dessinée, illustratrice et parolière

« Je ne dirais pas qu’il y a de l’art intrinsèquement féminin, mais culturellement féminin, peut-être. Je doute fort qu'il y ait de majeures différences de nature entre hommes et femmes mais la différence de vécu reste importante. Et j'imagine qu'en art, c'est notre vécu qui parle.

Le genre est une question qui revient souvent dans mon travail. J'ai fait il y a quelques années une bande dessinée sur le chevalier d'Eon, espion de Louis XV travesti en femme, et une des choses qui m'intéressait sur ce personnage, c'est que je n'avais pas l'impression qu'il était particulièrement traversé de doutes sur son identité sexuelle. Seulement qu'il se percevait comme un être suffisamment intéressant pour rayonner au delà du genre, sur un spectre très large. Quand j'ai travaillé sur le personnage de Milady de Winter, la méchante des Trois mousquetaires de Dumas, c'était plutôt le cas d'une figure obligée à être une femme, jugée comme une femme et que ça rendait folle de rage. Le projet que je présente au MuMa a deux jeunes filles pour héroïnes et leur féminité est assez peu la question, mais elles rencontrent sur leur chemin pas mal d'hommes/dieux dominateurs et violents. C'est une partie non négligeable de l'expérience féminine. Et puis si je crois peu qu'il y ait exactement un dessin féminin ou une écriture féminine, en chanson, je me retrouve encore le nez dans la question parce que je pense que la première chose qu'on perçoit d'une voix, c'est son sexe. C'est pour ça que j'ai un faible pour les voix ambiguës, intermédiaires, entre deux eaux.

J'ai un faible pour Brigitte Fontaine. Son écriture est magnifique. Rien que pour son "Je suis vieille et je vous encule, avec mon look de libellule" dans la chanson Prohibition, je l'aime pour la vie. »

Delphine Boeschlin

Delphine Boeschlin, graphiste et plasticienne

« Je n’ai pas envie de revendiquer que je suis une artiste femme parce que quand c’est un homme, on n’a pas besoin de préciser. Aujourd’hui, en France, c’est une construction dépassée. On sait bien que les femmes sont capables autant que les hommes ! Certes, au même titre que pour les Noirs, il a fallu passer par l’affirmation de la négritude, un combat pour la place des femmes dans l’art a dû être mené mais il est temps de passer à autre chose. Cela ne signifie pas qu'il n'y a plus de combats à mener, mais je n'ai tout simplement plus envie de les justifier ! Au contraire, je suis féministe et je le revendique dans ma vie personnelle mais dans mon travail, ce n’est pas le sujet. A ce titre, j’aime Katharina Grosse, dont les œuvres monumentales n’ont pas de caractère féminin. Avec ces questions, la société est en retard selon moi : être obligée de se justifier en tant que femme, c’est navrant. La journée des femmes est une dénomination qui va dans le sens du système patriarcal, le vrai titre est "La journée internationale de lutte pour les droits des femmes".

Que mon travail soit non genré, c’est une forme de position. Et cela ne veut pas dire que je rejette tout ce qui est très féminin dans l’art. Il m’arrive d’être programmatrice de festival : à ce titre, j’ai une responsabilité. C’est plus facile de trouver des hommes car ils sont plus nombreux, plus visibles, ont plus de moyens, etc. Je vais chercher l’égalité, mais je ne la mettrai pas en avant ».